La figure du coq dans l'art nouveau
Considérons dans une première mesure le coq de Nathalie Clifford Barney. Cette grande amoureuse s'est éprise de passion pour la poétesse Liane de Pougy. Et quand on est "l'Amazone" d'une riche femme de lettres, on a le droit aux plus beaux bijoux. Nathalie découvre ainsi les talents de joaillier du célèbre Renée Lalique.
Il fallait trouver des matériaux dignes de cette âme pure. Lalique opta pour de l'or, de l'émail, du saphir étoilé, le tout couronné par un diamant central. Quand on aime on ne compte pas…
Nous pouvons débuter notre brève analyse en relevant les éléments et techniques témoignant de l'étude qu'a dû effectuer Lalique dans la conception de son coq.
Notons dans un premier temps une fidélité biologique dans sa représentation, (le ganglion, la crête, les crétillons, le bec etc…) bien que ces membres soit stylisés, ils relèvent d’une étude et d’une observation précise de l’artiste pour son sujet. Ajoutons également une approche de la matière de l’animal au sens littéral du terme. Lalique joue avec les matériaux. L’émail est martelé pour reproduire la texture d’une crête de coq. Observons dans cette perspective les deux plumes en émail peintes en bleu dans lesquelles viennent se superposer des touches de blanc créant du relief, un jeu de lumière et reproduisant à merveille les « barbes » de la plume dont les irrégularités sont soulignées par la fine bordure en or.
Cependant malgré de nombreuses ressemblances, nous ne sommes pas en présence d’un projet naturaliste. L’animal est stylisé selon la volonté de l’artiste. La crête arrière est traitée en coup de fouet, et donne du mouvement à l’animal, un bec grand ouvert, comme si la bête poussait son terrible cocorico digne de Chantecler. Lalique nous donne à voir une figure extrêmement dynamique. C’est une vision d’une nature sauvage, incontrôlable. L’animal semble à la limite de l’agressivité et fait face à son congénère à la manière d’un combat de coq. Nous nous éloignons du charmant animal de basse-cour. Peut-être est-ce extrapoler, mais dans cette crête du coq tourmentée nous pouvons y voir un motif organique. (Comme des tiges). Ce bijou dépasserait alors le stade d’une simple représentation animale, pour revêtir la dimension allégorique de la nature. Le bijoutier accentue le mouvement en conférant au mammifère une silhouette fine et torsadée en réduisant le corps de l’animal à sa plume. Lalique représente l’idée du coq plus qu’une simple représentation physique. Notons également le jeu de contrastes entre le bleu de l’émail lisse et les saphirs étoilés blancs.
Terminons notre analyse en rapprochant cette œuvre avec celle d’une artiste Japonaise "Nandina et le coq", tiré du "Royaume coloré des êtres vivants" de Itō Jakuchū. A la vue de cette estampe en couleur Japonaise ; Nous remarquons un traitement semblable du mouvement et du dynamisme dans la posture de ce coq (toutefois plus réaliste que son contemporain), le bec également ouvert (nous pourrions presque entendre son cri), « la figure » tourmentée de l’animal et les plumes torsadées ne sont pas sans nous rappeler notre bijou. De plus l’inspiration japonisante est très courante dans l’art Nouveau
En bref, notre étude a mis en relief trois points caractérisant cette parure. Une étude naturaliste, une stylisation du motif, une vision artistique de l’animal, et une inspiration japonaise. Quant au symbole de ce bijou, le coq pourrait représenter, la force et la fierté d’une femme artiste, fait assez rare dans une société et un milieu encore misogyne, ou pour certain l’amour et la lubricité…